De l’éolien offshore en mer d’Oléron où comment s’engager dans une confrontation stérile sous couvert d’un Débat Public organisé sur la base d’un projet flou – Il faut revoir stratégie et méthode
Pas facile d’échapper au débat pour ou contre le nucléaire en France, dans cette campagne présidentielle de début 2022 ; les intervenants se succèdent pour poser la question énergétique comme un enjeu de survie, à un moment où les incertitudes pèsent. On revient à des discours sur l’autonomie stratégique souhaitée, après avoir abandonné la partie pendant vingt ans et entériné l’affaiblissement de la filière nucléaire (cf. article Elie Cohen Telos 12 février 2022).
Cette situation conduit mécaniquement à une pression délirante autour de l’éolien dit offshore, en fait des centrales électriques installées en mer avec les raccordements et dispositifs associés, comme si cette solution devenait le « Graal » alors que le modèle n’est absolument pas « éprouvé » en France, que ce soit au plan technique, économique ou environnemental.
Il s’agit également pour les porteurs de projet de simplifier un débat déjà très conflictuel au sujet de l’éolien terrestre, en déplaçant ce dernier en mer. Pas certain que le sujet soit plus simple dans ce cas, en faisant l’impasse des réalités territoriales. En effet, le littoral et les espaces proches du rivage sont déjà l’objet de toutes les convoitises et pressions au plan démographique et immobilier ; rappelons par ailleurs qu’ils constituent un milieu très sensible du point de vue des enjeux écologiques et climatiques. Les prévisions démographiques les plus récentes font d’ailleurs état de la continuité de cette pression à l’horizon 2050. (ANCT Territoires et transitions enjeux démographiques dec 2021).
Le propos qui suit n’a pas pour objectif d’éclairer les hypothèses sur le plan des scénarios énergétiques, chacun peut organiser son analyse en se reportant aux exercices très complets fournis par RTE, Négawatt, l’Ademe et autres démarches ambitieuses (shift project, programmes de recherche… etc) auxquels peuvent s’ajouter les informations disponibles au niveau de l’État en lien avec les enjeux partagés à l’échelon européen et mondial.
Non, mon intérêt pour la question s’est construit autour de la perspective de participation concrète à une procédure de Débat Public en Nouvelle Aquitaine, procédure que je connais assez bien par ailleurs pour l’avoir conduite en tant que maître d’ouvrage.
Lorsque l’on examine précisément le « Débat Public » en cours au large d’Oléron, on ne peut que constater le nombre d’impensés considérables qui caractérisent le dossier du maître d’ouvrage, en l’occurrence RTE et l’Etat. Périmètre d’étude, caractéristiques du parc, dimensions, raccordements, distance – éloignement, modèle économique et zones desservies, coût réel et indicateurs de gestion (+ démontage et recyclage), filière économique « France », impacts sur les sociétés locales, mais surtout biodiversité… Le flou est à tous les étages !
Si les sujets sont parfois abordés, et les questions posées, les réponses efficaces sont habilement contournées, en particulier lorsqu’il s’agit d’évaluer la balance risque / bénéfice pour l’environnement.
Or, la particularité du système d’ordonnancement des études en France fait que le vrai travail d’investigation et d’impact se fera après la décision de l’État. L’État peut également passer outre les conclusions du Débat Public pour valider la continuité du projet, désigner un délégataire, et engager la phase opérationnelle.
Le projet ouest-oléronais se situe par ailleurs dans une zone Natura 2000 et un parc naturel marin ; là aussi l’Etat peut décider des activités compatibles avec ces espaces classés (ce serait une première d’y autoriser ce type d’équipements !). Le contexte de recours juridique est également déjà simplifié puisque les arbitrages s’établiront directement en Conseil d’État.
Pourtant, sur beaucoup des points de sensibilité du projet des solutions existent, et l’équipe du Débat tente d’ailleurs de donner un semblant de cohérence à ce dernier par diverses initiatives : on peut s’éloigner des côtes à l’instar de ce qui se fait ailleurs, faire moins gigantesque, phaser, choisir la technologie flottante, accélérer sur les innovations, préciser les questions financières et fiscales, les priorités économiques en privilégiant la filière « France »… On peut également faire un vrai travail en amont sur les questions de biodiversité, la zone d’étude s’inscrivant dans un périmètre Natura 2000 et un parc naturel marin, mieux travailler avec les acteurs locaux…
A ce stade, le maître d’ouvrage du projet semble hermétique à ces évolutions, et très ancré sur ses objectifs d’urgence du calendrier, construisant ainsi, pas à pas, la défiance du public. On s’inscrit quelque part dans la continuité de la stratégie choisie en 2019 par l’Etat au moment de la promulgation de loi dite « énergie- climat’, qui avait dispensé la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie) et la SNBC (stratégie nationale bas carbone) d’un Débat Public. On ne peut que constater une forme de reconduction d’une vision très verticale des responsabilités de mise en œuvre de ces objectifs longs termes alors que rien ne se fera sans le local.
Il en découle un sentiment très mitigé pour essayer de comprendre la méthode déclinée localement à l’occasion de ce Débat Public. Qu’est-ce qui est de l’ordre du calcul, d’une forme de « peur », de la faiblesse de la préparation du maître d’ouvrage et des capacités techniques ? Quelle est la ligne de pilotage, l’articulation de RTE et de l’État, qui décide des marges de manœuvre … ?
Au final ressort un sentiment « d’impréparation » et de « déficit », avec d’un côté cette difficulté à organiser des démarches de projet sérieuses ancrées dans les défis d’aujourd’hui et demain, apte à articuler programmation et vision long terme. Et d’un autre côté le manque cruel de réflexion et d’outillage sur l’invention « d’une planification démocratique accordée à nos sociétés ouvertes » (Les Echos Le point de vue de Pierre Veltz et David Djaiz « nous devons réinventer l’aménagement du territoire »).
Souhaitons que l’État prenne la mesure de ce qui se joue là, et se donne les moyens d’une démarche ambitieuse pour construire une vraie capacité de pilotage des projets aussi déterminants en même temps qu’un chantier d’ampleur au plan stratégique et méthodologique. Cela impacte ni plus ni moins que des questions de quasi-survie collective à l’horizon 2050, mais surtout la trajectoire et la bifurcation à opérer collectivement pour co-construire cet horizon.
Jouer les transitions en opposant énergie et biodiversité relève d’une vision à court terme, celle de la technologie contre le vivant. Multiplier les points de friction n’est certainement pas le bon mode opératoire pour engager l’avenir. De même, la question de l’acceptabilité ne peut plus être pensée comme un accessoire !